15 avril 2018

L'incompatibilité de la socialisation avec le développement de l'individu

La socialisation réprime l'autonomie.
En opposition aux systèmes de pensée en vigueur à son époque et encore de nos jours, Dabrowski rejetait la conception de la santé mentale comme absence de maladies psychiques ou comme mesure quantitative de l'ajustement social. Il fut influencé en cela par Marie Jahoda (1958), psychologue viennois. Jahoda identifia les caractéristiques de la capacité à la santé mentale comme étant les suivantes : perception de soi, la santé mentale étant proportionnelle au type de développement et à la capacité d'auto-actualisation, l'autonomie en termes d'indépendance de l'individu par rapport aux influences sociales, la capacité de percevoir la réalité et de devenir maître de son environnement.

Dabrowski définit la santé mentale comme la présence de caractéristiques variées et nouvelles, qualitatives donnant en exemple la présence d'une hiérarchie de valeurs autonome et consciente qui refléte la personnalité unique de l'individu. Suivant la théorie de John Hughlings Jackson, Dabrowski fait l'hypothèse que les niveaux les plus bas de développement relèvent de structures psychologiques plus simples, plus organisées et plus résilientes; il note néanmoins que ces structures sont souvent inféodées aux forces biologiques (instincts, qu'il nommera 1er facteur) et à l'influence de l'environnement social (2ème facteur). Les idéaux, buts, valeurs sont subordonnés à des standards externes et ne laisse que peu de place à la conscience de soi, l'individuation et l'autonomie. L'individu « socialement moyen » montre une intégration unifiée, organisée et coordonnée de toutes les caractéristiques psychologiques formant la base traditionnelle d'une intégration psychologique traditionnellement reconnue positive.

Dabrowski identifie alors deux types d'intégration : la plus basse, selon lui, qui reflète une socialisation qu'il considère, au contraire des théories psychologiques classiques, a-développementale et la plus élevée, ou intégration secondaire, au développement avancé dans laquelle autonomie et auto-détermination reflétent la santé mentale. Pour Dabrowski, les individus restant au niveau d'intégration primaire ne peuvent faire preuve d'une personnalité individuelle ; il va même jusqu'à conclure que « l'absence de développement de la personnalité équivaut à l'absence de santé mentale ». Dans sa description de l'intégration primaire, Dabrowski note que le comportement de ce niveau s'organise communément autour d'instincts et de pulsions d'autosatisfaction. Les rôles sociaux sont souvent produits et manipulés pour atteindre la satisfaction de l'ego. Dans une telle société, des individus charismatiques et forts peuvent s'y saisir de rôles leader et certains ne feront que continuer à se comporter égocentriquement, sans peu d'appréciation du dommage qu'ils causent et de leur responsabilité. L'image-type du psychopathe serait cet homme en costume-cravate, capable de gagner quel qu'en soit le prix, ce businessman ou ce politicien qui sera capable de toutes les justifications pour parvenir à ses buts. Pour Dabrowski, nos systèmes politiques ou éducatifs (les marionnettistes de Platon) encourage la création et la promotion d'individus sans foi ni loi, que ce soit dans le mondes affaires ou la politique; une société qui développe et promeut de tels «gagnants» indique qu'elle est primitive et confuse. Ainsi, Dabrowski réfute l'idée que la santé mentale serait l'ajustement de l'individu à des normes sociales dominantes qui, selon lui, ne représentent en rien le développement humain authentique ou la fonction humaine. L'ajustement à une société elle-même confuse et primitive est, par essence, a-développementale et ne fait que tourner le dos à la découverte de l'essence authentique de l'individu ainsi qu'à l'exercice de son véritable choix, critère de santé mentale.

Avant lui, Søren Kierkegaard s'était senti concerné par l'impact de la socialisation sur l'authenticité de l'être humain, disant que la conformité aux rôles sociaux et à la doctrine de l'Église ne permet pas à l'individu « une véritable action ». Mac Donald saisit bien la position de Kierkegaard lorsqu'il écrit : La problématique centrale de Kierkegaard était de déterminer comment devenir chrétien au Royaume de Dieu. Cette tâche se révèle plus difficile pour les mieux éduqués car les institutions éducatives et culturelles en place tendent à produire des membres stéréotypés « de la foule » plutôt que de permettre aux individus de découvrir leur propre et unique identité ». La "foule" dérobe à l'individu sa responsabilité personnelle. Plutôt que de définir le moi de l'individu au travers de règles et de rôles sociaux, Kierkegaard suggère que la seule vraie liberté d'un individu repose dans sa responsabilité d'être capable de choisir son propre moi, ses croyances et ses valeurs propres, ceci au travers de choix successifs que l'individu est amené à prendre dans sa vie quotidienne. On retrouve l'ajustement décrit par Dabrowski entre « ce qui est » et « ce qui devrait être ». Cette conscience n'est pas sans créer de doute par rapport à soi-même et de l'anxiété. Derrière une porte, nous avons le choix, soit de l'ignorer, soit de décider de ne pas la franchir - 2 choix passifs -, soit de la franchir en faisant face aux peurs et à l'anxiété qui accompagnent cette décision - un choix actif. Kierkegaard dit que ce choix d' « aller voir ce qui est derrière la porte » est critique pour la création du moi. « Un être humain n'a accès à son propre moi qu'en le définissant lui-même, comme quelqu'un qu'il choisirait lui-même ». L'authenticité et la dignité humaine s'affirme et se démontre dans cette capacité à vivre et dépasser l'anxiété et dans la persistance à faire des choix dictés par les valeurs et la foi.

Nietzche est encore plus critique sur le rôle joué par la société; il considère que les schémas de moralité ne sont que les « dogmes du jour » formant une morale de « meute » et qui ne font que nier les développements des valeurs propres de l'individu en imposant des normes moyennes et médiocres. Nietzche pense qu'en adoptant les normes dictées par la socialisation, l'individu n'honore pas son besoin de réévaluer régulièrement ses valeurs et sa propre responsabilité dans son développement, bref d'honorer sa moralité autonome. Ainsi, l'individu se contente de se conformer en perdant la motivation interne de se développer. Nietzche rejette la religion car, selon lui, elle absout l'individu de sa responsabilité à son propre développement.