Au-delà du niveau III, il y a deux niveaux de développement plus élevés. Ces deux niveaux sont rares mais ils ont été atteints par de nombreux membres de notre société et ainsi, ils demeurent parmi les possibles. Le niveau IV est le niveau de la réalisation du moi. L’individu est autonome, responsable et contrôle sa vie. Toutes les caractéristiques identifiées par Abraham Maslow chez les personnes qui se réalisent eux-mêmes, s’appliquent à ce groupe :
1. Une perception de la réalité claire, plus efficace.
2. Une acceptation des autres, de soi, et de la nature.
3. Une spontanéité, une simplicité, et un naturel.
4. Centré sur des problèmes plutôt que centré sur l’égo.
5. Une qualité de détachement, un besoin de solitude.
6. Une autonomie, une indépendance de culture et d'environnement.
7. Des expériences mystiques et de plénitude.
8. Un sens profond d’identification, de sympathie et d'affection pour l’humanité.
9. Des relations interpersonnelles plus profondes et plus intenses.
10. Une structure de caractère démocratique.
11. Un discernement entre les moyens et les fins, entre le bien et le mal.
12. Un sens de l’humour philosophique, pas hostile.
13. De la créativité.
14. Une résistance à l’inculturation, une transcendance de toute culture particulière.
Les individus sont capables de réaliser ces valeurs supérieures dont ils ont pris conscience au niveau III. Ils peuvent s’engager dans le service, mais pas aux frais de leur moi. Leur développement dépend de leur compassion pour les autres. L’intérêt pour soi et celui pour les autres ne sont plus polarisés, ils sont synchronisés. Comme dit Maslow, ils sont « synergétiques ».
La honte et la culpabilité du niveau III sont remplacées par une plus grande acceptation de soi, et les « efforts » vers une évolution de niveau supérieur sont remplacés par le savoir que le développement est en train de se produire. Conflits intérieurs, peur de l’échec et résistance, tous diminuent, et cette sécurité intérieure est acquise. Ceux du niveau IV n’ont pas à forcer le changement intérieur ; ils sont capables d’utiliser leurs compétences d’orientation afin de permettre à l’évolution de se produire naturellement. Souvent, ceux du niveau IV sont plus préoccupés par la transformation sociale et le travail dans le monde – une perspective à laquelle ils ajustent leur travail intérieur en cours et leur autonomie qui s’approfondit toujours plus.
Cette sérénité s’infiltre dans la perception des autres aussi. Les personnes du niveau IV apprécient réellement les autres, aimant leurs limites tout autant que leurs forces. Ils ont une grande compassion pour la douleur des autres qui les motive à dévouer leur vie au service comme résultat naturel de leur préoccupation. Un détachement compatissant leur permet d’affronter une grande part de souffrance et d’aider les autres sans être perdu dans cette souffrance. Ceci est une condition fort souhaitable chez les thérapeutes.
Au-delà de la réalisation du moi, il y a même un niveau d’existence plus avancé, un niveau qui n’a été atteint que par quelques élus. Dabrowski l’a appelé « intégration secondaire » et c’est la réalisation de l’idéal de personnalité. Pour la plupart d’entre nous, ceci demeure une vision de la perfection plutôt qu’une potentialité dans cette vie. Au niveau V, on transcende l’égo et atteint une unité harmonieuse avec l’univers. Il n’y a pas d’écart entre « ce qui est » et « ce qui devrait être » ; l’individu est une manifestation vivante de « ce qui devrait être ». Parmi les individus ayant atteint le niveau V, on compte Dag Hammarskjold, Peace Pilgrim et Mère Thérésa de Calcutta. Une partie des icônes de la société actuelle, comme Bill Gates.
Bien que la réalisation complète du niveau V ne se produit que rarement, le fait que la théorie de Dabrowski l’inclue comme possibilité de développement, est significatif. Cette théorie donne une crédibilité psychologique au plus élevé de l’expérience humaine. Reconnaître un idéal, c’est le premier pas vers sa réalisation. Comme nous comprenons plus de choses au sujet des facteurs psychologiques impliqués dans un développement avancé, nous pouvons être capables de nourrir ce développement et devenir une race d’êtres de compassion.
Il est important que le thérapeute reconnaisse la différence entre un jeu de « devrait » imposé par la société et une vision intérieure d’un idéal de personnalité en évaluant le niveau de développement d’un patient. Les « devrait » sont un phénomène de niveau II ; les idéaux choisis en autonomie sont des phénomènes de niveau III. Ils sont très différents.
Un autre facteur important de cette théorie est qu’elle voit le développement sous un angle très large, d’un point de vue de ce qui est possible pour la totalité de l’humanité, et non seulement pour un individu donné. Ceci signifie que l’évolution d’une personne du niveau I jusqu’au niveau V est impossible. Une personne peut rester dans un seul niveau une vie entière, évoluant à l’intérieur de ce niveau, mais sans subir la transformation agonisante vers un niveau supérieur. Bien souvent, une personne va fonctionner simultanément à deux niveaux et à trois niveaux au plus, mais la structure d’un niveau sera toujours dominante.
En arrière-plan de cette théorie, on peut voir la valeur positive de traits supposés névrotiques qui peuvent faire surface pendant la crise du milieu de vie. Le dessous sombre de la crise, ces sentiments souvent surprenants de « faux », de culpabilité sans raison, de dépression accablante et de désespoir insensé prennent une nouvelle signification. Ils peuvent être le signe d’une évolution, évolution qui éloigne de l’adaptation aux normes sociétales vers les débuts de valeurs intériorisées, enracinées dans le moi, et de pas timides vers l’autonomie.
Quel est alors le rôle du thérapeute, dans cette situation ? Avant tout, voir le conflit et l’anxiété comme signes positifs d’évolution et de santé a un effet améliorant en soi. La vision à long terme devient prometteuse, quand bien même le processus immédiat reste douloureux. Le thérapeute peut soutenir les patients pendant le processus de transformation, aider à recadrer les éléments de la situation dans une lumière positive. L’idée centrale de la théorie de Dabrowski de l’évolution émotionnelle peut suggérer de valider ces sentiments sincères, permettre le processus de transformation mais en notant des indicateurs d’évolution nouvelle dans des domaines telles que s’approprier ses expériences, examiner ses valeurs, affirmer ses droits et convictions. La sensibilité et le caractère réfléchi émergeants sont à célébrer. Savoir que le supplice est une part nécessaire de l’évolution vers une intégration plus élevée, peut aider et le patient et le thérapeute à gérer avec plus de sagesse et à continuer – chacun d’eux – cette longue route vers la réalisation du moi authentique.