Marcher aide à penser. Un pas devant l’autre, et c’est une idée après l’autre qui nous vient. Comme si nos jambes étaient le moteur de notre pensée. Les longues promenades en montagne stimulent la réflexion. Beaucoup de philosophes étaient des marcheurs, et même ceux qui ne pratiquaient pas cette activité la considéraient comme une image de la pensée. Descartes, par exemple, décrit sa réflexion comme une marche en forêt. Il se sent perdu, il cherche l’issue… Heidegger parle de la pensée comme de « chemins qui ne mènent nulle part » : le but n’est pas d’aller d’un endroit déterminé à un autre, mais de faire la route. C’est le point commun entre le marcheur et le philosophe : ils n’ont d’autre but que de cheminer.
L'image du penseur plutôt prostré et immobile renvoie à une conception très particulière de la philosophie, qui considère que la pensée serait favorisée par une mise en absence du corps. Celui-ci ne venant plus interférer, la pensée pourrait alors s’élever. Au contraire, la pensée associe toujours corps et esprit. La marche exprime très bien cette réalité. La pensée s’appuie sur le corps et se développe en harmonie avec lui. On pourrait presque dire que dans la marche, c’est le corps qui pense. Marcher, c’est passer d’un pied sur l’autre, et penser, c’est envisager une idée puis une autre. La pensée est toujours en instabilité, inquiète, en mouvement, comme la marche est un déséquilibre sans cesse rattrapé. Dans les deux cas, il s’agit d’une recherche permanente d’un équilibre entre deux positions. Il y a donc une conformité et une coïncidence entre le mouvement du corps et celui de la pensée. Montaigne dit même que son « esprit ne va si les jambes ne l’agitent », et qu’il a le sentiment que ses pensées dorment s’il s’assied !
La marche en ville est très mécanique et utilitaire : on marche pour se rendre au bureau, pour faire ses courses, etc. Et puis on se fond dans l’atmosphère urbaine : nos pas se règlent sur ceux de la foule, notre attention est sans cesse perturbée par des bruits, des agitations. On ne marche pas à « son » rythme. La marche est riche de pensées si elle est libre, choisie et sans autre objet que de passer un moment avec soi-même. Par ailleurs, la marche en ville est trépidante, tandis que, même si elle peut parfois subir des fulgurances, la pensée suit un tempo lent. Un rythme qui a à voir avec la respiration. La marche en montagne est plus intéressante et adaptée à la réflexion car elle oblige davantage à écouter son souffle. Selon le terrain sur lequel on marche, donc selon le souffle que l’on produit, c’est un type de pensée ou d’échange spécifique qui est favorisé. La marche sur du plat permet de longues digressions. La marche en montée convient plutôt à la recherche de la formule juste, puisque l’on manque d’air. Tandis que la descente sert une pensée qui suivrait son propre caprice, sans contrainte.
La pensée est plus conforme à la réalité quand on marche. Nous sommes à la fois corps et esprit, et la marche nous oblige à considérer cette réalité mêlée. Elle est l’occasion de donner à la pensée une assise concrète, que nous sommes tentés de laisser de côté quand nous nous lançons dans des réflexions abstraites. D’ailleurs, quand on marche en montagne, il y a une dialectique entre notre ascension générale et l’inclination de notre regard, de notre tête. C’est comme si nous visions des hauteurs, tout en regardant régulièrement nos pieds.
La marche est une école de sagesse car elle nous tient sur terre ; ce n’est pas un hasard si « humilité » vient du latin humus, « terre ». Et qu’elle nous permet de faire l’expérience de nos limites : en la pratiquant, nous ressentons la fatigue, la vieillesse, nous « sentons » que notre corps n’est pas tout-puissant, alors que les déplacements en voiture, en train ou en avion sont autant d’occasions de dépasser nos limites physiques. La marche nous enseigne aussi qu’il n’est pas dans la nature des choses d’aller droit au but. En montagne, vous avez beau voir au loin la cime à atteindre, vous ne pouvez pas grimper tout droit pour y accéder. Vous comprenez que le chemin le plus direct n’est pas toujours le meilleur et que les détours et digressions peuvent être précieux.
(à suivre)
La marche en ville est très mécanique et utilitaire : on marche pour se rendre au bureau, pour faire ses courses, etc. Et puis on se fond dans l’atmosphère urbaine : nos pas se règlent sur ceux de la foule, notre attention est sans cesse perturbée par des bruits, des agitations. On ne marche pas à « son » rythme. La marche est riche de pensées si elle est libre, choisie et sans autre objet que de passer un moment avec soi-même. Par ailleurs, la marche en ville est trépidante, tandis que, même si elle peut parfois subir des fulgurances, la pensée suit un tempo lent. Un rythme qui a à voir avec la respiration. La marche en montagne est plus intéressante et adaptée à la réflexion car elle oblige davantage à écouter son souffle. Selon le terrain sur lequel on marche, donc selon le souffle que l’on produit, c’est un type de pensée ou d’échange spécifique qui est favorisé. La marche sur du plat permet de longues digressions. La marche en montée convient plutôt à la recherche de la formule juste, puisque l’on manque d’air. Tandis que la descente sert une pensée qui suivrait son propre caprice, sans contrainte.
La pensée est plus conforme à la réalité quand on marche. Nous sommes à la fois corps et esprit, et la marche nous oblige à considérer cette réalité mêlée. Elle est l’occasion de donner à la pensée une assise concrète, que nous sommes tentés de laisser de côté quand nous nous lançons dans des réflexions abstraites. D’ailleurs, quand on marche en montagne, il y a une dialectique entre notre ascension générale et l’inclination de notre regard, de notre tête. C’est comme si nous visions des hauteurs, tout en regardant régulièrement nos pieds.
La marche est une école de sagesse car elle nous tient sur terre ; ce n’est pas un hasard si « humilité » vient du latin humus, « terre ». Et qu’elle nous permet de faire l’expérience de nos limites : en la pratiquant, nous ressentons la fatigue, la vieillesse, nous « sentons » que notre corps n’est pas tout-puissant, alors que les déplacements en voiture, en train ou en avion sont autant d’occasions de dépasser nos limites physiques. La marche nous enseigne aussi qu’il n’est pas dans la nature des choses d’aller droit au but. En montagne, vous avez beau voir au loin la cime à atteindre, vous ne pouvez pas grimper tout droit pour y accéder. Vous comprenez que le chemin le plus direct n’est pas toujours le meilleur et que les détours et digressions peuvent être précieux.
(à suivre)