Ceci est la critique d'une pièce de théatre jouée en 2009. Son titre, "Simplement compliqué", m'a interpellé car il résume bien ce qu'est un surdoué. L'acteur se questionne et se tourmente sur sa vie.
"Simplement compliqué", de Thomas Bernhard , Théâtre des Bouffes-du-Nord à Paris
Une évidente humanité
Pour entamer cette rentrée, le Théâtre des Bouffes-du-Nord propose « Simplement compliqué », texte écrit en 1986 par Thomas Bernhard en hommage à Minetti, l’illustre comédien. Mis en scène et interprété par Georges Wilson, ce texte est l’occasion pour le comédien de s’interroger sur le sens d’une vie entièrement dédiée au théâtre. Et, dans son interprétation tout en nuances, Georges Wilson nous offre un moment gorgé d’une troublante humanité. Que reste-t-il à un acteur vieillissant après avoir donné sa vie au théâtre ? Que reste-t-il à un homme qui, après n’avoir cessé de scruter le monde, se coupe un peu plus de lui à chaque mot ? Il lui reste la quête essentielle à son métier : chercher à comprendre, à ressentir, pour restituer le vécu à sa juste mesure sur scène. Pourtant, ces questionnements n’auraient pas suffi à rendre ce spectacle saisissant et émouvant. Mais, à regarder Georges Wilson interpréter un vieil acteur rejouant ses souvenirs, ce texte nous apparaît comme écrit exprès pour lui.
En prenant place, on découvre un décor annonçant avec subtilité l’errance du personnage. Sur scène s’étalent les vestiges d’un appartement vieillissant : quelques meubles, deux fauteuils usés jusqu’à la corde, des monceaux de papiers et, au loin, du linge grisé pendant à une ficelle. À l’image de la scénographie, Georges Wilson apparaît dans l’ombre, sans fard. Le comédien entame alors un monologue qui nous parvient presque par surprise. Il nous regarde pourtant, nous, spectateurs, mais ne parle qu’à lui-même. Par des bribes de souvenirs, des ébauches de discours, tantôt lucides, tantôt frôlant la folie, il nous fait toucher son errance solitaire. Coupé du monde extérieur, qui ne lui parvient plus que par des bruits lointains, il traîne au milieu de ses ruines, passant d’un siège à l’autre pour rythmer son monologue. Seule une fillette de 9 ans, Catherine, qui lui apporte du lait deux fois par semaine, trompe sa solitude. Mais, comme le dit le comédien en parlant de ce texte qui lui est cher, « elle n’est qu’un leurre », un reliquat de public qu’il accueille avec une douceur soudaine.
Par le truchement de ce texte, Georges Wilson se dévoile sans fard et sans pudeur. Au-delà d’un jeu déployé avec intensité, ce sont ses propres ressentis qui semblent être mis au jour. Avec finesse, il nous entraîne sur cet entre-deux séparant le théâtre du vécu. Pour cela, le comédien laisse le temps aux phrases de se dérouler et aux sentiments d’émerger. Les silences dévoilent alors des pensées intimes. Car, comme le dit son personnage : « Le théâtre commence quand on s’arrête de jouer ». Ainsi, les mots lourds de solitude de Thomas Bernhard apparaissent dans toute leur violence, leur justesse et leur humanité. Quand l’acteur s’efface, reste l’homme, simplement.