7 avril 2017

Les surdoués adultes vus par une psychiatre

La notion du haut potentiel chez le sujet adulte est encore bien peu abordée, et le plus souvent absente du schéma de compréhension et de décision du psychiatre qui reçoit en consultation un de ces sujets. Ceci, pour différentes raisons :
-On en connaît de plus en plus sur la question des enfants précoces, au travers des problèmes de scolarité qu’ils peuvent rencontrer, ou des symptômes qui peuvent les amener dans les cabinets des psys. Leur devenir à l’âge adulte reste par contre encore bien peu connu.
-Le haut potentiel n’est pas une maladie, et les psychiatres, contrairement aux psychologues qui sont formés à la question de l’intelligence, n’ont aucune formation, voire aucune idée sur le sujet.
-Enfin, la plupart des enfants à haut potentiel seront des enfants heureux, et deviendront des adultes heureux. Et ce, probablement d’autant plus que ce potentiel aura été détecté, expliqué, et accompagné pour aller dans le sens de leur épanouissement.

Par contre, une fraction non négligeable de cette population, non détectée, ou bien ne bénéficiant pas d’un entourage familial ou éducatif adéquat, risquera de se trouver en situation de sous utilisation de ce potentiel, avec une difficulté dans la construction de leur personnalité, et dans la capacité à trouver un équilibre de vie épanouissant. Que risque le sujet adulte à HP non détecté au cours de sa vie, en termes de symptômes psychiatrique ?

Chez les sujets qui ont pu optimiser leur potentiel, dans le sens de la réussite professionnelle ou personnelle :
-Un risque anxieux avant tout.
L’anxiété semble quasi constante chez le sujet à HP, liée entre autre à un pseudo-perfectionnisme. Toute son échelle de valeurs est en effet biaisée dans la mesure où, pour le sujet à HP, la norme, c’est la perfection. L’anxiété sociale et relationnelle sera aussi communément retrouvée, car le sujet à HP non détecté n’a souvent pas conscience de son décalage par rapport à la moyenne, et aura tendance, surtout pour les femmes, à s’accorder peu de valeur. Ce manque d’estime de soi, associé à une hypersensibilité émotionnelle, seront des facteurs favorisants de décompensations dépressives.

-En aval du risque anxieux, un risque dépressif.
Trop d’activités, trop de projets, une hypersensibilité émotionnelle pouvant compliquer les rapports sociaux, des troubles du sommeil par incapacité à mettre sa tête au repos, et c’est le syndrome d’épuisement classique, qui est une dépression qui se manifeste notamment par une incapacité brutale à penser. Comme le sujet à HP présente un idéal du Moi très élevé (voire en plus un Surmoi très rigide…), et une fâcheuse tendance à vouloir dépasser ses limites, ce tableau dépressif pourra être subit, et surtout très mal toléré sur le plan narcissique, avec des risques de mise en danger important.

Les sujets qui n’ont pas pu utiliser leur potentiel dans le sens de la réussite sont plus difficiles à détecter en consultation psychiatrique, alors même qu’ils sont souvent en grande souffrance du fait de la sous-utilisation de leur intelligence.
Indéniablement, haut potentiel rime avec excès. Excès de sensations, excès de stimulations, excès de pensées, excès de sentiments, mais surtout excès d’énergie. Ces personnalités sont excessives, avec toutes un style différent, conditionné par le tempérament, qui est une donnée innée, et canalisées par ce qui aura été proposé par l’environnement.

Si l’environnement a été ouvert, curieux, tolérant et stimulant, mais aussi cadrant, l’énergie est canalisée sur une multitude de rails. Dans le cas contraire, l’excès d’énergie reste coincé à l’intérieur du sujet, et se retourne contre la personne. Ce qui produit une inhibition en surface, et la création de voies de sortie pathologiques de l’énergie en excès, au travers de symptômes, et ce d’autant plus que le milieu familial aura été pathogène ou non sécurisant. On retrouve là en premier lieu des symptômes anxieux et pseudo-obsessionnels, avec une dispersion de la pensée, des raisonnements obsédants, voire de vraies obsessions idéatives (la pensée classiquement décrite chez le sujet à HP comme arborescente perd –ou bien n’a jamais développé- son système de priorités et de tâches subalternes, et devient confuse et douloureuse). On trouve aussi un risque addictif, soit à des produits (cannabis et alcool préférentiellement), mais aussi des addictions comportementales comme des Troubles du Comportement Alimentaire, l’addiction à internet, ou tout simplement une addiction à la rêverie qui est en fait vivre sa vie en rêve, sans obstacles ni contraintes. Ces addictions ont pour fonction de permettre au sujet de se « vider la tête » face à une pensée qu’il n’arrive pas à canaliser et utiliser correctement.

Lorsqu’un adulte ou un adolescent de ce type arrive dans le cabinet d’un psychiatre, le psychiatre ne voit que la surface, l’inhibition ou les symptômes, et seule une attention particulière permettra de suspecter le HP caché. D’où un sacré risque de passer à côté d’une donnée centrale de la problématique, et de ne proposer qu’une prise en en charge partiellement efficace.

Alors, comment rendre la vie plus belle aux sujets à hauts potentiels adolescents et adultes ?
Le déroulement est en fait le même que pour l’enfant précoce qui rencontre un psychologue, et s’organise autour de trois étapes :

1/ Tout d’abord, il faut savoir reconnaître le Potentiel
Puis il faut transmettre au patient cette idée, et lui dire que cette hypothèse sera prise en compte dans la prise en charge, ce qui nécessite un peu d’assurance et de persévérance face à des patients parfois incrédules ou sceptiques, jusqu’à ce qu’ils arrivent à se l’approprier. Reconnaître le haut potentiel, veut dire aussi faire une relecture du parcours du sujet, et déterminer en quoi ce potentiel a pu être un plus ou un frein dans la réalisation de son épanouissement. Et cela veut enfin dire les encourager à assumer cette différence.

2/ La deuxième étape est de leur expliquer comment ils fonctionnent. Comment canaliser leur intelligence et leur énergie pour sortir de l’inhibition, des obsessions, comment arriver à se vider la tête pour retrouver le sommeil. Comment aussi retrouver un plaisir à utiliser son intelligence, là où penser est souvent devenu une contrainte, voire une torture. Une approche en thérapie corporelle associée (relaxation, psychomotricité) sera souvent conseillée.

3/ La dernière étape sera de les remotiver, autour de la reprise d’études, de projets professionnels, autour d’un projet artistique ou créatif. Toutes les idées, leurs idées sont bonnes à prendre, car on sait bien qu’un sujet à haut potentiel motivé aura les moyens de réussir ce qu’il entreprend.

Alors bien sûr il y a aussi le reste du travail psychiatrique et psychothérapique, en gardant à l’esprit que ce travail ne pourra produire de bons résultats chez le sujet HP que dans un cadre particulièrement interactif et explicite.